Charles Le Gai Eaton, ancien diplomate britannique (partie 6 de 6)
Description: La quête de vérité d’un philosophe et écrivain confronté à une constante lutte intérieure visant à harmoniser ses croyances avec ses actions. Partie 6: Une graine qui porte fruit.
- par Gai Eaton
- Publié le 04 Jan 2010
- Dernière mise à jour le 04 Jan 2010
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J’avais besoin d’un refuge. J’étais tombé en amour avec la Jamaïque, s’il est possible de tomber en amour avec un pays, et je détestais l’Égypte pour n’y rien retrouver qui me rappelât la Jamaïque. Où étaient passées mes Blue Mountains, ma mer tropicale, mes belles filles antillaises? Comment avais-je pu quitter le seul endroit où je m’étais jamais senti chez moi? Mais ce n’était pas tout, loin de là; j’avais non seulement quitté un lieu, mais aussi une personne, une jeune femme sans laquelle ma vie m’apparaissait vide, désormais, et moins intéressante à vivre. Je compris alors tout le sens du mot « obsession » : une leçon douloureuse, mais utile et même nécessaire pour ceux qui cherchent à mieux se comprendre et à mieux comprendre les autres. Rien n’avait de réelle valeur, dans ma vie précédente; ma seule réalité était ce besoin de me retrouver auprès de l’unique personne qui occupait mes pensées du matin au soir, et jusque dans mes rêves. Lorsque, dans le cadre de mon travail, je lisais à mes étudiants des poèmes d’amour à voix haute, des larmes coulaient le long de mes joues et ils se disaient, entre eux : « Et bien, voilà un Anglais qui a du cœur! Nous croyions qu’ils étaient tous aussi froids que la glace! ».
Ces étudiants, et plus particulièrement un petit groupe de cinq ou six d’entre eux qui étaient plus âgés, constituaient aussi un refuge, pour moi. Même si je détestais l’Égypte pour être située à 8000 milles de l’endroit où je souhaitais me trouver, j’aimais ces jeunes Égyptiens. Leur chaleur, leur ouverture d’esprit et la confiance qu’ils me témoignaient m’apportaient un réconfort. Et bientôt, je me mis à aimer leur foi, car ces jeunes gens étaient de bons musulmans. Je n’avais plus de doutes. Je me disais que s’il m’était possible de jamais m’investir dans une religion – et même de m’emprisonner de gaieté de cœur dans une religion – cette religion ne pouvait être que l’islam. Mais pas tout de suite! Je me souvins de cette prière de Saint-Augustin : « Seigneur, donne-moi la chasteté et l’abstinence – mais pas tout de suite! », sachant qu’à travers les âges, d’autres jeunes hommes, croyant avoir devant eux toute la vie, avaient prié pour que Dieu leur accorde la chasteté ou la piété, ou une vie plus vertueuse, mais avec la même réserve... Et la mort était venue chercher plusieurs d’entre eux alors qu’ils se trouvaient toujours dans cet état.
Toutes choses égales par ailleurs, j’aurais pu ne jamais arriver à surmonter mes hésitations. Même si j’avais l’intention d’embrasser l’islam un jour, il aurait été probable que je remette cette décision d’année en année jusqu’à ce que, même vieux, je persiste à dire « mais pas tout de suite! ». Mais toutes choses n’étaient pas égales. Au fil des mois, mon désir de revoir la Jamaïque et cette jeune femme grandit plutôt que de diminuer, comme s’il se nourrissait lui-même. En me réveillant, un matin, je compris que seul le manque d’argent m’empêchait de retourner dans cette île. Je m’informai et appris que si je voyageais sur le pont d’un bateau à vapeur, le voyage me coûterait tout au plus 70£. J’étais certain d’arriver à amasser cette somme avant la fin de la session universitaire et cette certitude transforma mon quotidien. Sachant mon départ proche, j’en venais presque à apprécier ma vie au Caire. Mais une question me tourmentait, qui ne pouvait plus être reportée et exigeait une réponse ferme. L’occasion d’embrasser l’islam qui se présentait à moi pouvait ne jamais se représenter. J’avais devant moi une porte ouverte. Je pensai que si je ne passais pas cette porte, je prenais le risque de la voir se refermer pour toujours. Je connaissais, par ailleurs, le genre de vie qui m’attendait en Jamaïque, et je doutai d’avoir jamais la force de vivre en tant que musulman dans un tel environnement.
Je pris donc une décision qui, avec raison, peut étonner la plupart des gens et non seulement les musulmans. Je décidai – comme je me le dis à moi-même – de « semer une graine » dans mon cœur, d’embrasser l’islam sur-le-champ dans l’espoir que cette graine germe un jour et se transforme en une vigoureuse plante. Je ne blâmerai personne si on m’accuse d’avoir manqué de sincérité ou de ne point avoir eu une intention pure. Mais peut-être sous-estiment-ils l’empressement de Dieu à pardonner les faiblesses humaines et Son pouvoir de produire une plante et des fruits à partir d’une graine semée dans un sol aride. Quoi qu’il en soit, je ressentais un besoin pressant d’agir en ce sens et je savais ce que je devais faire. Je me rendis chez Martin Lings, lui racontai mon histoire et lui demandai de me servir de témoin pour que je puisse prononcer la shahadah, c’est-à-dire l’attestation de foi. Après avoir d’abord hésité, il accepta. Le cœur à la fois empli de crainte et de joie profonde, je priai pour la première fois de ma vie. Comme c’était le mois de Ramadan, je jeûnai dès le lendemain, chose que je ne m’étais jamais imaginé faire.
Peu de temps après, j’annonçai la nouvelle à mon petit groupe d’étudiants; je ressentis leur ravissement comme une chaleureuse étreinte. J’avais cru, auparavant, être proche d’eux; je comprenais maintenant qu’il y avait toujours eu une barrière entre nous. Cette barrière avait désormais disparu et je fus accepté parmi eux comme un frère. Au cours des six semaines suivantes, qui précédèrent mon départ (je n’avais pas dit à mon employeur que je quittais), l’un d’eux vint chaque jour m’enseigner le Coran. Un jour, je me regardai dans le miroir : mon visage était le même, mais il appartenait à une personne différente. J’étais musulman! Et c’est dans cet état d’agréable étonnement que je montai à bord d’un navire, à Alexandrie, et pris la mer vers un avenir incertain.
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