Connaître Dieu, connaître le bien : Dieu et la moralité objective (partie 2 de 3)
Description: La croyance en Dieu est-elle le seul fondement rationnel à la moralité objective? Partie 2 : réponse au dilemme d’Euthyphron et explications alternatives avancées par les théistes pour expliquer l’objectivité morale.
- par Hamza Andreas Tzortzis (www.hamzatzortzis.com)
- Publié le 22 Oct 2018
- Dernière mise à jour le 22 Oct 2018
- imprimés: 22
- Lus: 7,753 (moyenne quotidienne: 3)
- Évalué par: 0
- Envoyés: 0
- Commentés: 1
Le dilemme d’Euthyphron
De nombreux athées répondent à cette question sur la moralité en citant le dilemme d’Euthyphron : Une chose est-elle moralement bonne parce que Dieu la commande ou Dieu commande-t-Il une chose parce qu’elle est moralement bonne?
Le dilemme pose un problème pour le théiste qui croit en un Dieu Tout-Puissant parce qu’il le contraint à croire en l’une ou l’autre de ces prémisses : soit la moralité est définie par le commandement de Dieu, soit elle est indépendante de Son commandement. Si la moralité est basée sur le commandement de Dieu, le bien et le mal deviennent arbitraires. Si tel est le cas, il n’y a rien que nous, humains, puissions reconnaître comme objectivement mauvais. Cela impliquerait qu’il n’y ait rien d’intrinsèquement mal dans le fait, par exemple, de tuer des gens innocents, car Dieu n’aurait apposé à cet acte une étiquette « mauvais » que de façon arbitraire. L’autre facette de ce dilemme implique que des normes morales existeraient de façon indépendante, sans lien avec l’essence et la nature de Dieu, et que Dieu Lui-même serait obligé de se plier à ces normes. Cette idée est inacceptable pour le théiste, car elle le contraint à reconnaître que Dieu n’est pas Tout-Puissant ni indépendant et qu’Il doit se plier à des normes indépendantes de Lui.
À prime abord, ces arguments peuvent sembler valides. Mais une bonne réflexion nous le fait voir comme un faux dilemme. Car il y a une troisième possibilité: Dieu est bon. Dans son ouvrage intitulé The Qu’ran and the secular mind (Le Coran et la pensée laïque), Shabbir Akhtar, professeur de philosophie, explique :
« Il y a une troisième alternative : un Dieu moralement stable, tel qu’on Le retrouve dans les écritures, un être suprême qui ne change pas d’avis de manière arbitraire sur le caractère bon de la compassion et le caractère mauvais des comportements sexuels déplacés. Un tel Dieu commande toujours le bien parce que Son caractère et Sa nature sont empreints de bonté inhérente. »[1]
Ce que dit le professeur Akhtar, c’est qu’il existe bel et bien des normes morales, mais contrairement à ce que laisse entendre le dilemme, elles ne sont pas indépendantes de Dieu, mais découlent de Sa nature. Les musulmans et les théistes en général croient que Dieu est bon et parfait. Ainsi, des normes morales parfaites et non-arbitraires sont inhérentes à Sa nature. Cela signifie que les actions d’un individu – par exemple, le meurtre d’innocents – ne sont pas arbitrairement mauvaises, car elles sont jugées sur la base de normes morales objectives. Mais il ne faut pas croire que Dieu serait soumis à ces normes morales parce qu’elles font partie de Son essence. Elles définissent Sa nature, mais ne sont pas indépendantes de Lui.
La réponse habituelle d’un athée serait : « Il faut d’abord savoir ce qu’est le bien pour pouvoir définir Dieu comme bon; il est donc impossible de résoudre ce problème ». Une réponse simple serait plutôt que c’est Dieu qui définit ce qu’est le bien. Il est le seul Être qui mérite d’être adoré, car Il est parfait. Le Coran affirme :
« Votre Dieu est un Dieu unique. Nul ne doit être adoré en dehors de Lui, le Tout Miséricordieux, le Très Miséricordieux. » (Coran 2:163)
« C’est Lui, Dieu, en dehors de qui il n’y aucune autre divinité, le Connaisseur de l’invisible et du visible; Il est le Tout Miséricordieux, le Très Miséricordieux. C’est Lui, Dieu, en dehors de qui il n’y aucune autre divinité, le Seigneur souverain, le Pur, l’Apaisant, le Rassurant, le Gardien, le Puissant, le Contraignant, le Suprême. Gloire à Dieu! [Il est] bien au-dessus de tout ce qu’ils Lui associent. C’est Lui, Dieu, le Créateur, Celui qui donne un commencement à toute chose et qui en détermine la forme. Les plus beaux noms Lui appartiennent. Tout ce qui est dans les cieux et sur la terre Le glorifie, et c’est Lui le Puissant, le Sage. » (Coran 59:22-24)
En résumé, les vérités morales sont dérivées de la volonté de Dieu, laquelle s’exprime à travers Ses commandements. Et Ses commandements ne contredisent point Sa nature, qui est parfaitement bonne, sage, pure et parfaite.
Existe-t-il des fondements alternatifs aux règles morales objectives?
De nombreux athées affirment qu’il existe des explications alternatives pouvant expliquer pourquoi certaines règles morales sont objectives. Ces explications incluent la biologie, la pression sociale et le réalisme moral.
Biologie
La biologie peut-elle expliquer la moralité objective? Une réponse simple est non. Charles Darwin fournit un « exemple extrême » intéressant de ce qui se produit lorsque la biologie ou la sélection naturelle constitue le fondement de la moralité. Il affirme que si nous étions le résultat d’un ensemble différent de conditions biologiques, alors ce que nous considérons comme moralement objectif pourrait être totalement différent. Il écrit : « Si l’homme était élevé dans exactement les mêmes conditions que les abeilles, il ne fait aucun doute que les femmes non-mariées considèreraient, comme les abeilles ouvrières, qu’il est de leur devoir sacré de tuer leurs frères. Les mères, elles, tueraient leurs filles fertiles et personne ne songerait à intervenir. »[2]
Autrement dit, si les règles morales dépendaient de la biologie qui, elle, est constamment sujette aux changements, elles seraient elles aussi sujettes à ces changements et ne sauraient donc être objectives. Si l’on s’inspire de l’exemple de Darwin, si nous étions élevés dans les mêmes conditions que le requin-nourrice, nous trouverions acceptable de violer notre partenaire, puisque ce type de requin se bagarre toujours avec son partenaire.[3] Certains répondent à cela en affirmant que c’est justement la sélection naturelle qui constitue la base de notre sens de l’objectivité morale. Mais c’est faux. Conceptuellement, tout ce que peut faire la sélection naturelle est de nous donner la possibilité de formuler des règles morales qui nous aideront à survivre et à nous reproduire. Comme l’écrit le philosophe Philip Kitcher: « Tout ce que la sélection naturelle peut avoir fait, pour nous, c’est de nous doter d’une capacité pour divers agencements sociaux et pour formuler des règles éthiques. »[4]
Maintenir que la biologie procure des bases pour établir des règles morales dépouille de tout sens ces mêmes règles; elles deviennent insensées, car elles ne sont que le résultat de changements biologiques non-rationnels et inconscients. Cependant, le fait que la moralité provienne de commandements divins lui donne un sens, car être une personne morale revient à respecter ces commandements. Autrement dit, nous avons des devoirs moraux envers Dieu. Nous ne pouvons devoir quoi que ce soit à un ensemble de molécules.
Pression sociale
La seconde alternative est la pression sociale, ou le consensus. C’est là que nombre d’athées et d’humanistes trouvent difficile de s’en sortir, philosophiquement parlant. Si la pression sociale constitue réellement la base de la moralité objective, cela la rend très relative, car elle est sujette à des changements sociaux inévitables. Ensuite, cela mène à des absurdités morales. Si l’on accepte le consensus comme fondement à la moralité, comment justifier notre position morale envers les Nazis lors de la Seconde Guerre Mondiale? Comment pouvons-nous prétendre que ce qu’ils ont fait était, objectivement, moralement mauvais? C’est impossible. Même si l’on souligne que certaines personnes, en Allemagne, ont combattu les Nazis, il demeure qu’il existait un consensus important ayant permis de soutenir ce mal. Il existe, dans l’histoire de l’humanité, de nombreux autres exemples similaires.
Le réalisme moral
La dernière alternative est le réalisme moral. Le réalisme moral, que l’on appelle aussi l’objectivisme moral, est cette vision selon laquelle les règles morales sont objectives et indépendantes de notre esprit et de nos émotions. Mais la différence entre le réalisme moral et ce que cet article défend est que ceux qui soutiennent le réalisme moral affirment qu’il ne nécessite aucun fondement. Ainsi, des vérités morales telles la compassion, la justice et la tolérance n’existeraient que de façon objective.
Il y a certains problèmes avec cette position. D’abord, comment affirmer que la justice ou que les valeurs morales objectives existent d’elle-même? Ces affirmations sont contraires à l’intuition et dépourvues de sens. Il faut comprendre que si les règles morales sont objectives (en ce sens qu’elles existent en dehors des opinions personnelles des individus), elles requièrent forcément une explication rationnelle. Ensuite, la moralité ne se limite pas à reconnaître des valeurs comme la compassion ou la justice; elle implique un sens du devoir : nous sommes obligés d’être compatissants et justes. Dans un contexte de réalisme moral, de telles obligations sont impossibles, car reconnaître qu’une vérité morale est objective n’assure pas que nous soyons obligés de la mettre en pratique. Une obligation morale ne découle pas spontanément du fait de reconnaître qu’elle est objective. Mettre en pratique une obligation morale n’a de sens que si elle est due. Le réalisme moral n’apporte aucun incitatif à se sentir obligé d’être moral. Mais si ces vérités morales sont issues de commandements divins, non seulement sont-elles objectives, mais elles justifient l’obligation d’être moral, i.e. un devoir d’obéir aux commandements de Dieu.
Il est donc évident que l’objectivité morale requiert l’existence de Dieu, car Il est extérieur à l’univers.
Note de bas de page:
[1] Akhtar, S. (2008) The Qur’an and the Secular Mind (Le Coran et la pensée laïque). Abingdon: Routledge, p.99.
[2] Darwin, C. (1874) The Descent of Man and Selection in Relation to Sex (La filiation de l’homme et la sélection liée au sexe). 2e édition, p. 99. Disponible ici (en anglais): http://www.gutenberg.org/ebooks/2300 [Accessed 4th October 2016].
[3] National Geographic (1996). Sharks in Love (Requins amoureux). Disponible ici (en anglais): http://video.nationalgeographic.com/video/shark_nurse_mating [Accessed 24th October 2016].
[4] Cité dans Linville, M. D. (2009) The Moral Argument (L’argument moral). Dans Craig, W. L. et Moreland, J. P. (ed.). The Blackwell Companion to Natural Theology. West Sussex: Wiley-Blackwell, p. 400.