Dr Moustafa Mould, ex-juif, États-Unis (partie 1 de 5)
Description: Au bout d’un cheminement spirituel qui aura duré 40 ans, un linguiste juif de Boston découvre l’islam en Afrique. Partie 1.
- par Dr Moustafa Mould
- Publié le 08 Sep 2014
- Dernière mise à jour le 08 Sep 2014
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Une odyssée est un long parcours errant. Le terme vient du grec Odusseùs (en latin Ulixes, puis, par déformation, Ulysse), un des héros les plus célèbres du poème épique d’Homère intitulé L’Odyssée. Son retour au bercail dura dix années, qui furent parsemées d’incidents, de détours, de dangers et d’aventures. Avec le recul, mon cheminement vers l’islam – mon propre retour au bercail – m’apparaît comme une odyssée. Quand je repense à ma vie, de ma petite enfance jusqu’au moment de prononcer la shahadah[1] – un cheminement de presque quarante ans – je constate que plusieurs signes, plusieurs points tournants et incidents, certains significatifs et d’autres moins, furent mis sur ma route pour me préparer à ma future conversion à l’islam.
J’ai grandi à Boston. À l’époque, c’était une ville très catholique, majoritairement irlandaise et italienne, avec de petites, mais très présentes communautés afro-américaine, juive, chinoise, grecque, arménienne et arabe chrétienne. Et, toujours à l’époque, chaque communauté avait son propre quartier. Il y avait plusieurs restaurants grecs et syriens et j’appris à apprécier la salade grecque, les shish kebab, le lahm mechoui, les kibbe, les feuilles de vigne farcies, le houmous et l’agneau sous toutes ses formes.
Ma famille était surtout composée de juifs ouvriers et conservateurs. Mes grands-parents avaient fui l’antisémitisme et les pogroms de la Russie tsariste vers 1903. Avec leur famille, ils avaient trouvé du travail dans les ateliers textiles et certains s’adonnaient à des travaux artisanaux, mais tous étaient très actifs au sein des syndicats. J’allais devenir le premier de ma famille à obtenir un diplôme universitaire. À la maison, nous n’étions pas strictement kasher, mais jamais nous n’aurions même pensé à manger du porc. Nous observions tous les jeûnes et toutes les fêtes religieuses et, des années durant, je fréquentai la synagogue chaque samedi et aux jours de fêtes, avec mon père et mon oncle.
La synagogue que nous fréquentions était conservatrice, quasi orthodoxe, mais tout de même moderniste; elle était très traditionnelle, mais les femmes n’y étaient pas totalement séparées des hommes. Je commençai à fréquenter la « madrasah » (école hébraïque) à l’âge de six ans. C’était en 1948, l’année de la création de l’État d’Israël. Les gens ne parlaient plus que de la propagande sioniste et nous entendions régulièrement des conversations ou des sermons sur les nazis et les camps de concentration de la part de survivants nouvellement arrivés en Amérique.
À l’époque, l’antisémitisme était encore répandu aux États-Unis, surtout dans le Sud et dans le Midwest, mais également à Boston. Les Grecs, les Syriens et les Italiens nous laissaient tranquilles, mais les Irlandais de Boston constituaient un réel problème, pour nous, depuis la génération de mes parents, dans les années 20. Au cours de mon enfance, je fus souvent poursuivi, insulté, frappé et arrosé de crachats par les enfants irlandais. On alla jusqu’à me contenir de force pour baisser mes pantalons; en plus de chercher à m’humilier, on voulait voir à quoi ressemblait une circoncision…
Mes professeurs d’hébreu étaient deux Israéliens orthodoxes, vétérans de la guerre de 1948. J’appris d’eux l’hébreu moderne et l’enseignement religieux qu’ils me prodiguaient était profondément teinté d’idéologie sioniste. Auprès d’eux, je devins plus religieux et résolument sioniste. Je croyais que les juifs avaient besoin d’avoir leur propre pays au cas où un autre Hitler ferait son apparition. (Les enfants irlandais qui me tourmentaient ne faisaient qu’alimenter mes peurs et contribuaient au fait que je ne me sentais pas chez moi en Amérique). Je décidai qu’un jour, je passerais le reste de ma vie sur un kibboutz (ferme collective).
Mon père était un musicien et un chantre (i.e. celui qui mène les autres en prière). Il avait une belle voix de ténor et il préférait les airs plus traditionnels et orientaux. Il psalmodiait les prières avec beaucoup de huzn (lamentation dans la voix). (Lorsque j’appris ce terme, récemment, je me demandai s’il n’était pas lié au mot hébreu hazan= « chantre ».) Dans notre synagogue, le lecteur de Torah utilisait un tajwid à consonance très orientale et j’aimais beaucoup l’écouter. Croyez-le ou non, j’entendis, récemment, un ami réciter du Coran et la mélodie était presque identique.
Aujourd’hui encore, quand je fais ma prière, je me souviens que dans les prières juives, il y avait de constantes références à la prosternation (soujoud). En fait, il est de coutume, dans les synagogues plus orthodoxes et au cours du Yom Kippour (le jour de jeûne le plus important et l’équivalent de Ashourah), que le chantre se prosterne au nom de la congrégation, tout en continuant de psalmodier. Cette action n’était pas particulièrement facile à accomplir, mais mon père, avec sa voix puissante, s’en sortait très bien. Je me souviens avoir pensé, à l’époque, qu’il aurait été plus agréable que nous nous prosternions tous ensemble plutôt que de simplement nous incliner en guise de soujoud symbolique.
Vers l’âge de huit ou neuf ans, j’eus le bonheur de découvrir une station de radio qui diffusait les émissions de diverses communautés ethniques locales. Je me mis à écouter les émissions en yiddish, en grec et en arménien et, plus particulièrement, l’émission en arabe. Je tombai littéralement en amour avec la musique arabe et la mélodie de cette langue. En m’appuyant sur l’hébreu que je connaissais, je m’efforçais de comprendre les nouvelles et de faire des liens entre les sons hébreux et arabes. Je remarquai les différences entre hamzah et ‘ayn, entre kh et h et entre k et q, des distinctions que l’hébreu moderne a perdues. Cela m’aida à améliorer mon hébreu et je remportai des prix d’excellence à l’école hébraïque. Je me souviens également avoir aidé des copains à tricher lors de tests d’épellation en leur chuchotant les lettres avec un accent « arabe ».
Une fois à l’école secondaire, je découvris la Grande bibliothèque de Boston et sa section de disques. À part la musique classique, je découvris toutes sortes de musiques ethniques, mais j’étais surtout attiré par les musiques moyen-orientales et les chansons en arabe, en turc, en persan et en hindi (ou ourdou). J’appris à reconnaître divers styles, instruments et rythmes régionaux. J’aimais particulièrement le ‘oud et j’appris seul à jouer du dumbeg en accompagnant les disques que je faisais tourner. Une fois, un groupe de juifs yéménites vint d’Israël visiter Boston pour présenter un spectacle de danses et de chants. Je fus totalement fasciné par leur apparence, leurs costumes et leur musique. Même qu’ils prononçaient l’hébreu comme moi au cours d’un test d’épellation…
Si je prends la peine de mentionner tous ces détails, c’est qu’il y a une indéniable composante culturelle à l’islam : la langue, les mélodies du adhan et du Coran, les interactions sociales et d’autres traits culturels qui paraissent très exotiques et étranges à l’Occidental moyen, incluant les juifs occidentalisés. Et lorsque, des années plus tard, je fus mis en contact direct, dans divers contextes, avec ces traits culturels, ils m’étaient déjà familiers et c’est avec plaisir et nostalgie que je les retrouvai, ce qui me fit accepter l’islam encore plus aisément. Mais nous reviendrons là-dessus plus loin.
Mon meilleur ami, à l’école secondaire, eut aussi beaucoup d’influence sur moi. Il aimait la philosophie, la poésie et la littérature à caractère religieux. Je n’étais pas un admirateur des deux premières, mais j’aimais les écrits à saveur religieuse, fussent-ils hindous, bouddhistes ou taoïstes et… j’aimais le Coran. Je remarquai que les histoires qu’il renfermait étaient très similaires à celles de la Bible, mais j’étais agacé par ce que je percevais comme son côté anti-juif. J’étais très impressionné, cependant, par sa description de Jésus en tant que prophète et non en tant que Seigneur. J’acceptai aisément cette idée et elle devint ma réponse toute faite lorsque des camarades de classe catholiques me demandaient ce que je pensais de Jésus. Et ils ne semblaient pas trop s’offusquer de ma réponse.
Note de bas de page:
[1]La shahadah est l’attestation de foi islamique, i.e. « J’atteste qu’il n’y a pas d’autre dieu qu’Allah et que Mohammed est Son messager. »
Dr Moustafa Mould, ex-juif, États-Unis (partie 2 de 5)
Description: Au bout d’un cheminement spirituel qui aura duré 40 ans, un linguiste juif de Boston découvre l’islam en Afrique. Partie 2.
- par Dr Moustafa Mould
- Publié le 15 Sep 2014
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Je fréquentai également une « madrasah » de niveau supérieur, où j’étudiai l’histoire juive, l’hébreu, la Torah, l’araméen et le Talmud (fiqh juif), bien que les langues demeuraient mon intérêt principal. Au cours de cette période, vers l’âge de quinze ans, je perdis la foi, ma croyance en Dieu. Avant ce moment, au cours des années précédentes, mon raisonnement avait été que si Dieu nous ordonne de faire certaines choses, comment pouvions-nous ne pas les faire? J’étais alors plus orthodoxe. Puis, un jour, j’en vins à me dire : d’accord, si Dieu nous dit de faire toutes ces choses, nous devons les faire. Mais si Dieu n’existait pas? Est-ce que je crois vraiment en Dieu? Peut-être, peut-être pas… Non, je ne crois pas. Et si Dieu n’existe pas, alors je n’ai pas besoin de faire toutes ces choses. Alors je cessai de les faire. Je crois que vous pouvez très bien imaginer à quel point mon père en fut fâché.
Plusieurs individus – et surtout les catholiques et les protestants fondamentalistes qui ont grandi dans un environnement très strict, constamment menacés d’Enfer et de damnation, battus par des religieuses à l’école et habitués à se faire dire que leurs besoins physiques, qui sont pourtant naturels, sont quelque chose de honteux – ces individus, donc, sont souvent plus qu’heureux de quitter leur religion et il arrive que, se sentant comme libérés d’une prison, ils deviennent très antireligieux. Personnellement, ce n’est pas ce que j’ai vécu. Lorsque je me détournai de ma religion, c’est un sentiment de tristesse qui m’envahit, comme si je venais de perdre un être cher sans pouvoir y faire quoi que ce soit. Je réalisais que le fait de croire avait été réconfortant et rassurant, mais je n’arrivais plus à forcer cette croyance en moi. Durant toutes les années 60 et 70, je fus tenaillé par ces sentiments et désirs ambivalents.
Comme le disait Jeffrey Lang dans son ouvrage où il raconte sa conversion à l’islam, il y a, chez l’athée, un sentiment de vide et de solitude que les croyants peuvent difficilement comprendre. Pour l’athée, le monde est absurde et n’est que le produit d’une multitude de coïncidences. La science a, ou aura, toutes les réponses ou presque, mais la vie n’a aucune signification logique. La mort est définitive. Vous pouvez, au cours de votre vie, avoir une influence positive sur vos enfants et le monde qui vous entoure; vous pouvez réussir votre vie, rester dans les mémoires par le biais des livres d’histoire durant des siècles et même des millénaires; lorsque le soleil s’éteindra, l’humanité ira peut-être coloniser d’autres systèmes solaires, peut-être même d’autres galaxies; mais à la fin, même si cela doit prendre 15 milliards d’années, l’univers tout entier finira par mourir ou par être absorbé dans un immense trou noir ou peu importe; à la fin, il n’y aura plus que le vide absolu et lui seul sera éternel. Vues sous cet angle, la vie est insensée et la mort, terrifiante. La vérité et la moralité deviennent relatives, ce qui mène souvent à la confusion morale, à l’hédonisme ou pire encore. Mais, plutôt que de mépriser les croyants comme le font beaucoup d’athées, j’éprouvais plutôt du respect envers eux et j’enviais leur sentiment de sécurité, leurs certitudes et la tranquillité qu’ils ressentaient.
C’est presque du jour au lendemain que je passai de juif orthodoxe à athée, ce qui ne m’empêcha pas de toujours aimer la langue, la culture, la musique, la cuisine et l’histoire juives. J’étais devenu un juif « ethnique » et j’étais, par ailleurs, toujours sioniste, une philosophie beaucoup plus politique que religieuse. En fait, à cette époque, il y avait encore beaucoup d’orthodoxes qui s’opposaient au sionisme. Le sionisme religieux et messianique que l’on connaît aujourd’hui ne vit le jour qu’aux environs de 1967-1973, quand Israël s’empara de Jérusalem. Je décidai, à ce moment, que je voulais devenir linguiste spécialisé en langues sémitiques; mais les universités que j’avais choisies ne m’acceptèrent pas et celles qui m’acceptèrent n’offraient pas de cours d’arabe, ni même de linguistique.
Au début des années 60, à l’université, j’eus l’occasion de côtoyer des gens d’origines diverses. Pour la première fois de ma vie, je me retrouvai en contact quotidien avec un grand nombre de protestants, d’Afro-Américains et d’étudiants étrangers, dont certains étaient musulmans. Je n’avais plus à affronter d’antisémitisme, ce qui me permit d’apprécier la diversité de l’Amérique et mes contacts avec les étudiants étrangers. À la fin de ma deuxième année universitaire, je mangeais sans culpabilité du bacon et des côtes de porc, tandis que je devenais président, sur le campus, de notre branche de l’Organisation sioniste étudiante. Lors de ma dernière année, j’étais le vice-président de la région de la Nouvelle-Angleterre de cette organisation.
Nous étions, pour la plupart, de gauche, car nous étions issus de familles ouvrières dont l’éventail politique allait de libéral-démocrate à communiste. Nous étions en faveur des syndicats et de l’Union américaine pour les libertés civiles, et contre McCarthy, Nixon et la Commission de la Chambre sur les activités non-américaines. Nous admirions Franklin D. Roosevelt, Hubert Humphrey et Adlai Stevenson. Nous étions pour le sionisme socialiste et les kibboutzim. Il y a une chose que je souhaite mettre au clair, à cause de l’impact profond qu’elle eut sur moi des années plus tard : à cette époque, la plupart des juifs étaient socialistes ou libéral-démocrates; beaucoup faisaient encore partie de la classe ouvrière et ne réussissaient pas aussi bien qu’aujourd’hui. Je me souviens très bien du parti de droite Herut, de son idéologie expansionniste et de ses activités terroristes dans les années 40. Nous les considérions comme des fanatiques et des lunatiques.
Je m’inscrivis à un séminaire sur le Moyen-Orient. À l’âge de dix-neuf ans, je croyais tout savoir. Mon enseignant était syrien et je crois qu’il était musulman. Je me mis en tête de lui apprendre certaines choses. Il fut remarquablement patient et tolérant envers moi, surtout si l’on considère sa position ouvertement antisioniste et anti-Israël. Les critiques qu’il formulait sur mes travaux étaient objectives et inoffensives; il jugeait mes travaux trop biaisés. C’est ainsi qu’il m’amena, petit à petit, à m’ouvrir à d’autres points de vue. Et je réalisai à quel point j’avais absorbé de propagande, au fil des ans, et à quel point j’avais sciemment ignoré un grand nombre d’informations. Je n’obtins pas une très bonne note, pour ce cours, mais j’y appris beaucoup de choses. Et c’est le professeur Haddad qui me fit réaliser que l’on pouvait être à la fois non-pratiquant et religieux.
Au cours de la même période, je devins de plus en plus impliqué au sein des mouvements pour les droits civils et contre la guerre du Vietnam. Je devins membre du Comité étudiant pour la non-violence et du National Association for the Advancement of Colored People (NAACP) (Association nationale pour l’avancement des gens de couleur) et participai à divers sit-ins. Je fus, par ailleurs, membre fondateur de l’aile moyennement radicale des « Étudiants pour une société démocratique » de notre campus. Je reçus mon diplôme avec une majeure en politique, après avoir réussi plusieurs cours en loi constitutionnelle et en relations internationales. Je me rendis à Washington D.C., en août 1963, pour participer à la manifestation « March on Washington » et me tins à moins de 60 pieds de Martin Luther King lorsqu’il fit son célèbre sermon.
J’avais donc perdu la foi à l’âge de 15 ans et maintenant, à l’âge de 22 ans, je tournais le dos au sionisme. Je ne reniais pas mon héritage ethnique, mais j’étais de plus en plus inconfortable avec la mentalité de clan d’une majorité de juifs. Je me sentais comme un Américain moyen, qui se battait pour des causes américaines. Je voulais enseigner les sciences sociales, mais le marché du travail était difficile. Après deux années passées à faire du remplacement, puis à occuper un poste temporaire à mon ancienne école secondaire, je me joignis aux Peace Corps (organisation américaine de coopération et d'aide aux pays en développement) par soif d’aventure et en espérant que cela améliore, plus tard, mes perspectives d’emploi (et, aussi, pour éviter d’être envoyé au Vietnam). Ils décidèrent de m’envoyer en Ouganda, en Afrique de l’Est.
Je fus très heureux durant mon séjour dans ce superbe pays. Je vivais là où le lac Victoria se jette dans le Nil Blanc et j’enseignais à des étudiants qui voulaient vraiment apprendre, dans une société où les enseignants étaient respectés. J’y appris de nouvelles langues et de nouvelles cultures. J’y développai un goût certain pour la cuisine africaine et indo-pakistanaise. Comme il n’y avait pas beaucoup de distractions dans cette petite ville d’arrière-pays, je pris l’habitude d’aller voir des films indiens. J’aimais particulièrement le chanteur Mohammed Rafi, surtout ses qawalis, qui me rappelaient la musique de chantre de mon père. J’appréciais aussi l’ambiance arabo-islamique que je trouvais lorsque je me rendais sur la côte, à Mombasa, Dar es-Salam et Zanzibar. C’est d’ailleurs en ces lieux que j’entendis, pour la première fois, l’adhan (appel à la prière) de mes propres oreilles (plutôt que dans un film). Même dans les films, sa mélodie plaintive m’envoyait des frissons dans l’échine.
Lors de mon séjour là-bas, j’appris deux langues africaines, le swahili et le luganda. Le swahili fut très facile, pour moi; près de la moitié de son vocabulaire provient de l’arabe et ressemble donc beaucoup à l’hébreu. Mais le swahili est une langue bantoue et j’étais fasciné par les similitudes et les différences entre le swahili et le luganda. Je me décidai : c’était ma dernière chance de faire ce que j’avais toujours voulu faire – des études de linguistique – mais cette fois, j’étudierais les langues bantoues plutôt que les langues sémitiques. Je fis mon inscription aux études supérieures de linguistique.
Dr. Moustafa Mould, ex-juif, États-Unis (partie 3 de 5)
Description: Au bout d’un cheminement spirituel qui aura duré 40 ans, un linguiste juif de Boston découvre l’islam en Afrique. Partie 3.
- par Dr. Moustafa Mould
- Publié le 22 Sep 2014
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Je revins chez moi en passant par le Moyen-Orient et l’Europe, mais je tins à faire un arrêt en Israël. Nous étions en 1969. Je n’étais plus sioniste, mais malgré cela, je fus étonné du degré de ma déception. Je sais que c’était dû, en partie, au choc culturel inévitable pour quelqu’un qui, comme moi, venait de quitter une petite ville africaine, de même qu’un peuple et un emploi que j’adorais. Malgré tout, je fus désagréablement surpris par la brusquerie et l’arrogance des Israéliens que je rencontrai (cela rappelle beaucoup l’image du Français que se font les Américains). D’un point de vue archéologique et historique, ce fut une bonne expérience, mais j’avais de la difficulté à ignorer à quel point je me sentais étranger à cette culture et à ce peuple qui étaient censés être les miens.
Par principe, je refusai de visiter la Cisjordanie – c’était avant qu’ils ne commencent à construire des colonies – à l’exception de Jérusalem Est, à laquelle je ne pus résister. Lorsque je me tins devant le mur du temple de Salomon, devant le Dôme du Rocher et Al-Aqsa, je ressentis une intense émotion que je ne parvins pas à décrire, à l’époque. Aujourd’hui, avec le recul, je puis dire que j’y ressentis une impression de sainteté et je ne m’étonne pas que son nom arabe soit al-Quds. Mais je fus très contrarié d’y être le témoin direct de la discrimination envers les Palestiniens, constamment traités comme des citoyens de seconde classe. J’avais grandi dans une sous-culture américaine où les juifs avaient toujours été à l’avant-scène des luttes pour les droits civiques, pour les libertés civiles et les droits des travailleurs. Alors, pour moi, ce dont j’étais témoin, en Israël, n’était pas du tout juif.
Les dix années suivantes, de 1969 à 1979, je les passai à Los Angeles. J’avais raté 1968, l’une des années les plus importantes et turbulentes de l’histoire américaine moderne. Je me sentis très démoralisé, à mon retour aux États-Unis; les Noirs s’éloignaient exprès des Blancs et la libre expression ressemblait de plus en plus à une liberté d’utiliser un langage obscène. Je ne souhaitais plus me mêler de politique, à l’exception de mes rares participations à certaines manifestations contre la guerre ou anti-Nixon. J’étais à la fois attiré et rebuté par l’hédonisme californien des années 70. J’étais parfois tenté de succomber au désir de me laisser aller et j’y cédai sans grande conviction à quelques reprises. Mais, Dieu merci pour ma fitrah et ma bonne éducation juive, je n’allai pas très loin dans cette voie; tout au plus laissai-je pousser mes cheveux et ma barbe. J’étais trop absorbé par mes études doctorales, par l’enseignement, par le fait de me marier, puis de divorcer, et par mes recherches d’emploi pour m’adonner à ce mode de vie à part entière.
Deux événements, qui se produisirent durant cette décennie, ont un rapport avec mon histoire de conversion. Brièvement, le gouvernement du Likoud, en Israël, l’érection de colonies illégales et le traitement brutal des Palestiniens, sans mentionner son alliance avec l’Afrique du Sud, tout cela me révolta et me mit dans une telle colère que je passai de non-sioniste à antisioniste ouvert et intarissable sur le sujet. Ce qui m’apparaissait pire par-dessus tout était le soutien inconsidéré de la communauté juive américaine, que j’avais espéré voir, à tout le moins, s’opposer par principe au Likoud. N’avions-nous pas tous convenu, quelques années auparavant, que Begin et tous ceux de son acabit étaient des lunatiques?
Plusieurs des colons juifs interviewés à la télé étaient, à l’évidence, des juifs américains. Comment pouvaient-ils avoir grandi dans ce pays, avec des valeurs juives et américaines, avoir connu la révolution des droits civiques et se rendre ensuite en Israël pour agir de la sorte? Il y avait plus d’opposition juive en terre d’Israël qu’il n’y en avait aux États-Unis. Je me sentais trahi, honteux et dégoûté. Il y avait, bien sûr, d’autres juifs qui nourrissaient les mêmes sentiments que moi vis-à-vis cette situation – surtout ceux qui étaient de gauche – mais seuls quelques-uns trouvèrent le courage d’en parler publiquement. Parmi eux, I.F. Stone, un journaliste radical et un héros personnel, de même que Noam Chomski, dont les écrits politiques sur la guerre du Vietnam et sur la Palestine étaient aussi révolutionnaires que ses théories sur la linguistique.
En 1979, alors que je venais de divorcer, que j’étais incapable d’obtenir un poste approprié menant à une permanence et que l’Afrique me manquait, je retournai travailler comme assistant-professeur de linguistique à l’université de Nairobi. Mon père était décédé à peine quelques mois avant mon départ. Je me liai d’amitié avec plusieurs membres de la faculté, surtout le chef du département et un professeur d’histoire, tous deux musulmans originaires de Mombasa, et le professeur d’arabe, un Soudanais qui se trouvait être aussi mon voisin. Je déjeunais souvent avec eux, à la faculté, et par respect pour eux (et aussi par honte, car je savais qu’ils savaient que j’étais juif), je ne mangeais jamais de porc lorsque je me trouvais en leur compagnie. J’en pris rapidement l’habitude et je cessai bientôt de manger du porc tout court. Nous parlions souvent du Moyen-Orient, de l’islam et du judaïsme, et je fus agréablement surpris de découvrir que, s’ils étaient anti-Israël, ils n’étaient pas anti-juifs. De leur côté, ils s’étonnèrent qu’étant juif, je fus aussi férocement anti-Israël.
Comme il y avait longtemps que je n’avais eu autant de temps libre, je décidai d’entamer la liste des ouvrages que je m’étais promis de lire. Je relus la Bible; l’Ancien Testament pour clarifier certains points chronologiques de l’histoire ancienne et le Nouveau Testament parce que je ne l’avais jamais lu. Je relus également le Coran. Je ne connaissais alors rien des débuts de l’islam, de la sirah et des hadiths, mais j’appréciai quand même ma lecture du Coran, davantage que la première fois, en fait. Mais je ne pus m’empêcher d’avoir la même réaction que la première fois, me demandant pourquoi ce livre était aussi critique envers les juifs. Toutefois, comme je venais de me rafraîchir la mémoire en relisant la Bible, je me souvins que la Torah et le reste de l’Ancien Testament étaient tout aussi critiques, sinon plus, que le Coran. Mais les juifs n’avaient-ils pas appris leur leçon et n’étaient-ils pas devenus de vrais Gens du Livre lorsqu’ils avaient été expulsés d’Israël et de Jérusalem, la deuxième fois, et lorsque les rabbins, les synagogues et les prières avaient remplacé les prêtres, les temples et les sacrifices? Qu’en était-il, alors, des juifs de Médine? Ils étaient clairement répréhensibles, mais semblaient si différents de nous, juifs européens, et même des juifs sépharades de l’époque des califes. Avaient-ils, comme les juifs chinois et éthiopiens, été ignorants du Talmud? Je me pose toujours la question. Mais le fait d’avoir lu la Bible avant le Coran fit en sorte que cet agacement que je ressentais par rapport aux critiques envers les juifs finit par disparaître.
Une personne sage a dit, un jour, que si votre foi est faible, faites semblant d’avoir une foi inébranlable et votre foi se raffermira. Les Africains, fussent-ils chrétiens, musulmans ou païens, sont des gens très spirituels. Être athée est pour eux totalement incompréhensible et ridicule. Sachant cela, je n’avouai jamais être athée lorsque questionné sur le sujet. Je répondais que, bien sûr, je croyais en Dieu, en un Dieu unique, mais que je ne croyais en aucune religion. C’était presque vrai ou, en tout cas, très proche de ce qu’aurait été ma réponse si j’avais cru. Je ne dirais pas que j’eus une inspiration soudaine, comme Paul sur la route de Damas, ni une expérience de mort imminente (en fait, j’en eu deux, mais sans effets spirituels). Mais j’avais l’impression qu’à force de dire que je croyais en Dieu et de faire semblant d’y croire, ma foi revenait graduellement.
Je me disais que j’allais devenir déiste, comme un autre de mes héros, Thomas Jefferson. Que j’allais peut-être joindre les rangs de l’Église Unitarienne, une église populaire en Nouvelle-Angleterre, qui accepte Jésus en tant que prophète et qui compte parmi ses membres plusieurs personnes à haute conscience sociale, d’anciens juifs et d’anciens chrétiens trinitaires, de même que des intellectuels libéraux.
Un autre facteur ayant contribué à ce regain de foi fut ma participation au chœur de l’orchestre symphonique de Nairobi. Même si l’orchestre était formé d’amateurs, il n’en était pas moins excellent. Je les avais d’abord entendus lors d’un concert de Pâques, où ils avaient joué le requiem de Mozart, musique de messe funéraire. Cette musique, intensément religieuse, était incroyablement sublime et inspirante. Ce n’est pas seulement la beauté de la musique, mais aussi le message – glorifiant Dieu, rappelant la mort, la résurrection, le Jugement dernier et la vie éternelle – qui m’émut jusqu’aux larmes. Le lendemain, j’allai les voir et leur dit que je souhaitais faire partie de leur chœur; ils acceptèrent.
Durant les trois années qui suivirent, je participai à la présentation d’autres chef-d’œuvres, messes, requiems, oratoires – Beethoven, Brahms, Bach, Verdi. C’étaient des chants chrétiens et certains, bien sûr, faisaient référence à Jésus en tant qu’être divin, mais ces paroles n’avaient aucun effet sur moi; je n’avais d’autre intention que d’aider à présenter des chef-d’œuvres musicaux. Mais les pièces qui parlaient de Dieu me touchaient profondément et m’aidèrent à retrouver ma foi petit à petit. Il va de soi qu’aujourd’hui, je ne chanterais plus des paroles telles que « je sais que mon rédempteur est vivant »…
Dr. Moustafa Mould, ex-juif, États-Unis (partie 4 de 5)
Description: Au bout d’un cheminement spirituel qui aura duré 40 ans, un linguiste juif de Boston découvre l’islam en Afrique. Partie 4.
- par Dr. Moustafa Mould
- Publié le 29 Sep 2014
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Puis, je tombai amoureux! Elle était somalienne, intelligente, amusante et charmante, en plus d’être une jeune veuve, mère de deux adorables jeunes garçons. Son anglais était très limité et je ne parlais pas un mot de somalien, mais nous arrivions à communiquer assez facilement en swahili. Nous parlâmes de mariage, mais certains problèmes pratiques devaient d’abord être résolus.
Je savais que je n’allais pas pouvoir demeurer plus longtemps à l’université de Nairobi, car ils souhaitaient africaniser les lieux le plus vite possible et, à leurs yeux, je n’étais qu’un étranger de race blanche parmi d’autres. Comme je n’étais plus très jeune, j’avais sérieusement besoin de me trouver un nouvel emploi, de me bâtir une carrière, peut-être avec le Département d’État ou au sein d’une organisation à but non-lucratif. Du point de vue de ma dulcinée, le seul obstacle à notre mariage était que je n’étais pas musulman. J’avais erronément cru que n’importe quel musulman pouvait épouser une personne faisant partie des Gens du Livre. Mais elle me détrompa : les hommes, oui, mais les femmes, non!
Elle me parla un peu d’islam et j’avais déjà appris certaines choses, sur cette religion, par le biais de mes collègues et d’autres personnes. Je croyais déjà en un Dieu unique, qui était le Créateur de l’univers et de tout ce qu’il contient. Je croyais également aux concepts islamiques du tawhid et du shirk et je comprenais pourquoi il ne fallait pas croire aux pseudosciences telles l’astrologie ou la chiromancie. Il y avait longtemps que je ne voyais plus Jésus (paix sur lui) que comme un prophète et je croyais que Mohammed (paix sur lui) était un prophète et un messager de Dieu. Enfin, le fait que Mohammed ne fut pas juif ne revêtait aucune importance, pour moi.
Je ne mangeais plus de porc depuis un bout; je ne pariais jamais pour de l’argent et je ne buvais que très rarement un verre de vin, lorsque l’occasion se présentait, au resto par exemple. Depuis l’époque où j’avais fait partie des Peace Corps, j’étais plus à l’aise avec les notions de modestie, d’éducation des enfants, etc, telles qu’on les trouvait chez les Africains et dans l’islam que je ne l’étais avec la « révolution sexuelle », le culte de la personne et le phénomène d’éclatement des familles qui ne faisait qu’augmenter depuis les années 70, aux États-Unis. Il ne semblait donc pas y avoir beaucoup d’obstacles à une éventuelle conversion à l’islam. J’étais si près de le faire, alors quel était le problème, qu’est-ce qui me retenait, en 1983?
En fait, il y avait deux choses. D’abord, mon identité et mon héritage. J’imagine qu’il n’est pas aussi traumatisant, pour un chrétien, de passer d’une religion à une autre. Si un Allemand catholique, par exemple, décide de devenir luthérien, ou même juif ou musulman, il demeure quand même Allemand. Il ne fait aucun doute que je me sentais d’abord Américain et ensuite juif. Mais, aux États-Unis, pays d’immigrants, même les plus assimilés attachent quand même de l’importance aux origines ethniques ou à la nationalité de leur famille. Même si je n’avais plus aucune envie de frayer avec des juifs ou de faire partie de leur communauté, j’étais réticent à perdre cette identité.
Le deuxième obstacle était ma famille. Bien que non-orthodoxes, la plupart des membres de ma famille étaient très traditionnels, tous pro-Israël et certains étaient de fervents sionistes. Plusieurs considéraient les Arabes comme des ennemis et je soupçonnais qu’ils considéraient aussi les musulmans, même non-Arabes, comme des ennemis. Je craignais qu’ils ne me renient en me traitant de fou ou même de traître. Et surtout, comme je les aimais de façon inconditionnelle, savoir que mon geste les blesserait me faisait de la peine.
Lorsque mon contrat avec l’université prit fin, je ne cherchai pas à le renouveler. Je retournai aux États-Unis dans l’espoir d’y trouver un meilleur emploi, de préférence en Afrique de l’Est. Mon retour fut très difficile. Je n’avais pas de domicile, aucun revenu et pas même de complet à porter si l’on m’appelait pour un entretien. J’investis dans un complet en laine, trois cravates et un manteau d’hiver – c’était mon premier hiver depuis vingt ans – j’achetai des livres sur comment rédiger un cv et un SF 171 (application pour le gouvernement fédéral). Je demeurai chez un ami à Washington, pris contact avec toutes les agences gouvernementales, les firmes de consultation et les agences d’aide privées qui faisaient affaire avec l’Afrique, jusqu’à ce que je n’aie plus un sou. Je dus retourner à Boston pour aller vivre chez ma sœur, qui m’offrait un toit et de la nourriture, mais le genre d’emploi que je cherchais était difficile à trouver dans une ville comme Boston. De plus, je souffrais d’un choc culturel particulièrement sévère. C’est ainsi que je me retrouvai fauché, en plein hiver et en plein choc culturel, en pleine crise de la quarantaine, amoureux et… sous antidépresseurs.
J’en ris, maintenant, mais la douleur et l’angoisse que je ressentais, à l’époque, étaient insoutenables. Et, pour la première fois de ma vie adulte, je me mis à prier. Je priai souvent et avec beaucoup de ferveur. Je fis le serment que si je trouvais le moyen de retourner en Afrique et d’épouser ma bien-aimée, je déclarerais ma soumission à Allah et deviendrais musulman.
J’obtins un terrible emploi temporaire dans un entrepôt, qui m’aidait au moins à payer ma nourriture, mes tickets de bus et le nettoyage à sec. Puis, je trouvai un autre emploi, quelque peu embarrassant, celui-là, en tant que réceptionniste au bureau d’orientation d’un collège. Je compris tout de suite que les quatre psychologues yuppies du bureau m’avaient étiqueté comme un looser de 42 ans et j’étais plutôt d’accord avec eux. Honteux, je ne leur dis à peu près rien sur moi-même, mais quand le téléphone n’était pas en train de sonner et que je n’avais pas, au bout du fil, des étudiant paniqués par les examens de mi-trimestre, je lisais des offres d’emploi et tapais, à la machine, des lettres de candidature. Je découvris qu’une agence gouvernementale embauchait des enseignants d’anglais langue seconde pour l’Égypte et j’appliquai immédiatement. Une semaine plus tard, une autre agence, où j’avais posé ma candidature six mois plus tôt, m’invita à Washington pour un entretien.
Dès mon arrivée à Washington, j’appelai la responsable des emplois en enseignement de l’anglais pour lui demander un rendez-vous pour un entretien, mais elle me dit que les postes avaient déjà été comblés! Malgré tout, je demandai quand même à les rencontrer, au cas où un autre poste s’ouvrirait éventuellement. Elle accepta et, une fois sur place, elle me dit : « En passant, il y aura un nouveau poste de créé très bientôt, mais en Somalie. »
« En Somalie?! » Je me rendis compte que j’avais presque crié en disant cela. « Mais c’est merveilleux! »
« Vous trouvez? », me demanda-t-elle, incrédule.
« Bien sûr, j’adorerais aller là-bas! Je suis déjà familier avec la culture et la religion du pays. » Et, tandis que je disais cela à voix haute, je pensais en moi-même qu’il n’y avait qu’une heure entre Mogadiscio et Nairobi et que je pourrais peut-être enfin faire connaissance avec ma future belle-famille. Je lui donnai mes références, qui étaient toutes des personnes qu’elle connaissait personnellement. Elle allait les appeler et, en ce qui la concernait, si je voulais vraiment cet emploi, je pouvais l’avoir.
Je terminai mes entretiens avec l’autre agence. Ils me montrèrent même le box, situé dans un bureau sans fenêtre, où je travaillerais si j’obtenais l’emploi. Je retournai à Boston d’assez bonne humeur. Grâce à Dieu, j’allais peut-être même avoir le choix entre les deux postes. Mais quel choix! C’était soit un contrat renouvelable d’un an dans un lieu torride, poussiéreux – mais africain – près de l’Océan Indien, soit une carrière en service civil avec régime de retraite dans un bureau sans fenêtre dans le nord de la Virginie.
Deux semaines plus tard, la dame me rappela pour m’offrir le poste de directeur du programme d’anglais à Mogadiscio en me précisant que j’avais 48 heures pour y réfléchir. Tout le monde me dit que cela allait de soi : il était préférable que je choisisse l’emploi avec régime de retraite à Washington, sinon j’allais me retrouver à la case départ dans un an ou deux. Je leur fis comprendre que j’étais un africaniste, que cette expérience allait m’aider pour la suite de ma carrière et que j’allais pouvoir ériger un réseau de contacts. J’acceptai l’offre et me rendis à la clinique pour recevoir les vaccins obligatoires. Deux semaines plus tard, l’autre agence m’envoya une note pour m’annoncer, sans autre explication, que je n’avais pas été retenu pour l’emploi dans le bureau sans fenêtre.
Alhamdoulillah, j’aurais facilement pu me retrouver sans aucun emploi, mais Allah m’avait guidé vers la bonne décision. J’avais maintenant un emploi et j’allais probablement me marier. Je remis ma lettre de démission au collège où je travaillais et, lors de ma dernière journée de travail, je dactylographiai une lettre à l’attention de mes collègues psychologues les informant que je quittais, car j’avais accepté un poste de directeur de projet à l’ambassade des États-Unis en Somalie et je signai M. Mould, Ph.D.
Évidemment, lors de mon voyage vers Mogadiscio, je ne pus résister à l’envie de m’arrêter quelques jours à Nairobi, où je vécus des retrouvailles émouvantes avec ma bien-aimée. Je souhaitais réellement faire des projets pour l’avenir, mais le problème était que j’avais été embauché en tant que célibataire, ce qui signifiait que je ne recevais aucune allocation pour le logement ou la famille. En plus, je n’avais aucune idée de ce que serait la Somalie ni le poste que l’on m’avait offert ni combien de temps j’allais demeurer à cet endroit. Je me disais que j’allais pouvoir rendre visite à ma bien-aimée de façon assez régulière et qu’il y avait toujours le téléphone pour communiquer. Elle pouvait, aussi, venir rendre visite à sa famille, qu’elle n’avait pas revue depuis son enfance.
L’emploi était assez intéressant; j’étais chargé de quelques heures d’enseignement, mais surtout de tâches administratives et de management, en plus des relations avec les fonctionnaires de l’ambassade. La plupart de mes étudiants étaient des fonctionnaires gouvernementaux séniors et quelques-uns d’entre eux devinrent de bons amis. Mais, à l’extérieur de l’ambassade et des heures de travail, c’était une tout autre histoire. La culture et l’atmosphère de la Somalie urbaine étaient beaucoup plus moyen-orientales qu’africaines. Durant mes sept années passées en Ouganda et au Kenya, je connaissais la langue du pays et les gens étaient ouverts et amicaux envers moi. Je n’eus jamais aucun problème à m’adapter ou à me déplacer, me sentant toujours comme chez moi. Mais Mogadiscio fut un choc culturel. Je ne connaissais pas la langue du pays, personne ne parlait le swahili et les Somaliens éduqués ne parlaient pas anglais, mais italien. Tous les panneaux de signalisation et les panneaux publicitaires étaient en somali; alors la chose la plus difficile était de communiquer avec les gens. Les lignes téléphoniques étaient surchargées; le bureau de poste était d’une chaleur étouffante. Le seul service sur lequel on pouvait compter était le service de télégraphe. La poste n’était pas du tout fiable, sauf pour la valise diplomatique. À certains moments, il était pratiquement impossible d’entrer en contact avec Nairobi.
Entendons-nous bien : j’étais tout de même heureux, là-bas. J’aimais l’atmosphère et les odeurs, les mets italiens et somaliens, la vue sur l’océan, qui était à distance de marche de l’endroit où j’habitais et de mon bureau, le fait de découvrir une nouvelle culture, etc. J’habitais au centre-ville, dans un des anciens quartiers, derrière l’ambassade italienne, et j’étais réveillé chaque matin par le son mélodieux de l’adhan, qui s’échappait des haut-parleurs d’une mosquée du voisinage. Nous travaillions sur un horaire musulman, i.e. du dimanche au jeudi, de sept heures à quinze heures. Les vendredis, j’aimais aller prendre une marche dans les environs et passais souvent devant une petite mosquée située derrière l’ambassade américaine. Et, tandis que je profitais des parfums de myrrhe et d’encens qui s’échappaient des grandes portes, je m’arrêtais et écoutais les sons de la prière du joumou’ah.
Dr. Moustafa Mould, ex-juif, États-Unis (partie 5 de 5)
Description: Au bout d’un cheminement spirituel qui aura duré 40 ans, un linguiste juif de Boston découvre l’islam en Afrique. Partie 5.
- par Dr. Moustafa Mould
- Publié le 06 Oct 2014
- Dernière mise à jour le 06 Oct 2014
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Les premières fois, je remarquai d’abord les murmures des hommes qui lisaient le Coran en attendant l’arrivée de l’imam, i.e. celui qui les mène en prière et qui prononce le sermon (khoutbah). Cela me transporta, dans ma mémoire, à l’époque où je fréquentais la synagogue; j’y entendais les mêmes murmures, provenant d’hommes âgés qui lisaient les Psaumes (Zabour) au début des prières du matin. Je ressentis une nostalgie réconfortante. Un peu plus tard, lorsque je revenais sur mes pas et que je repassais devant la mosquée, j’entendais l’imam réciter une sourate et cela me rappelait la récitation de la Torah, que j’appréciais tant, et j’étais à nouveau étreint par une profonde nostalgie. Je ne dirais pas que cela me donnait envie de retourner dans une synagogue; je dirais plutôt que cela me faisait paraître l’islam comme plus accueillant, plus familier et plus réconfortant.
Je suis linguiste et spécialiste des recherches sur le terrain. Je trouvai un ouvrage pour apprendre le somali et j’embauchai un tuteur, qui devint un meilleur ami qu’il n’était enseignant. J’appris rapidement les salutations, les noms communs et les verbes, les nombres et l’heure. Une partie du vocabulaire, emprunté de l’arabe, ressemblait au swahili et à l’hébreu. Le somali est aussi un parent éloigné des langues sémitiques. La grammaire était une autre paire de manches, très difficile à comprendre et, tandis que j’étais de plus en plus occupé, au travail, et de plus en plus fatigué, nos leçons devinrent des moments de conversation entre nous, où nous discutions de culture, de politique et de religion. Il était assez instruit pour faire la distinction entre le véritable islam et certains aspects de la culture préislamique, superstitieuse et indigène qui m’agaçaient.
Quelque temps après, il m’offrit de revenir avec un sheikh afin que je puisse prononcer la shahadah (attestation de foi islamique). Malgré tout ce que je savais sur l’islam, je ressentis une certaine hésitation, surtout en pensant à la réaction de ma famille. Mais ils étaient à des dizaines de milliers de kilomètres, tandis que je vivais confortablement au sein d’une société musulmane. J’avais de bons amis et de bons collègues et il était clair, à mes yeux, qu’une bonne partie de la bonté que je trouvais, chez eux, était due à l’islam. Alors j’acceptai son offre et lui permis de revenir avec le sheikh. Ce dernier m’interrogea sur mes croyances et je lui dis que j’avais été juif, dans le passé, et non chrétien (et que je n’avais donc pas de problème avec la trinité ou le monothéisme), que j’avais depuis longtemps laissé tomber le porc, l’alcool, les jeux de hasard et le zina (fornication) et, après que je l’eus convaincu que je comprenais très bien la portée de la shahadah et que je connaissais les cinq piliers de l’islam, je prononçai l’attestation de foi. Ma fiancée me suggéra d’adopter le nom de Moustafa, un nom que j’aimais beaucoup.
Après l’hésitation et la procrastination qui avaient longtemps duré, je ressentis un énorme soulagement et un sentiment d’appartenance renouvelé qui m’avait manqué beaucoup plus que je ne le réalisais. Tous mes amis somaliens furent, évidemment, très heureux de ma conversion et m’offrirent tous leur soutien inconditionnel. Ils commencèrent d’ailleurs à m’appeler sidi (litt. « beau-frère »). Dès que je pus avoir quelques jours de congé, j’achetai quelques bijoux en or et pris le premier avion pour Nairobi. Pour pouvoir me marier, je dus d’abord me rendre au bureau du qadi et prononcer à nouveau la shahadah devant témoins, afin d’obtenir un certificat officiel de conversion (ces certificats n’existaient pas en Somalie).
Enfin, nous pûmes nous marier. Quelques jours plus tard, je dus retourner à Mogadiscio pour reprendre mon travail. Moins d’un an plus tard et à l’âge 43 ans, je devins, par la grâce de Dieu, père d’un merveilleux garçon. Je me rendis à Nairobi et, après une brève discussion avec mon épouse, j’acceptai le nom qu’elle me suggérait pour l’enfant. Désormais, j’avais même un kunya (surnom) : j’étais devenu Abou Khalid (i.e. père de Khalid). Mon fils fut ainsi prénommé en l’honneur du grand compagnon Khalid ibn al-Walid (qu’Allah soit satisfait de lui).
Vous vous demandez probablement si j’avouai à ma famille ma conversion à l’islam et la réponse est… pas immédiatement. Bien sûr, ma famille était au courant pour mon mariage et personne ne s’en étonna ni n’en fut contrarié, d’ailleurs. J’étais tout de même un homme d’âge mûr qui savait ce qu’il faisait et si j’étais heureux, c’était tout ce qui comptait pour eux. La naissance de Khalid les remplit de joie et ils m’avouèrent avoir très hâte de nous voir tous les trois, avec mon épouse. Lorsque Khalid eut un peu plus d’un an, nous nous rendîmes tous les trois à Boston. Les deux garçons, Ali et Yusuf, étaient à l’époque dans un pensionnat musulman du nord-est du Kenya.
Nous fûmes accueillis avec beaucoup de chaleur et d’amour et le voyage se déroula merveilleusement bien. Il ne fait aucun doute qu’un bébé, et plus particulièrement un petit-fils, a un effet salutaire et bénéfique sur les gens et sur les relations familiales. Mon épouse avait apporté quelques présents pour ma mère, ma sœur et mes tantes et toutes lui offrirent également quelques petits cadeaux. J’imagine qu’ils prenaient pour acquis, comme moi à l’époque, qu’une musulmane pouvait épouser un juif ou un chrétien. Ils savaient que mon épouse et nos enfants étaient musulmans, que Khalid était élevé dans l’islam, et cela ne leur posait aucun problème. Ils savaient que je ne pratiquais plus ma religion d’origine depuis près de trente ans et que j’avais déjà épousé une non-juive auparavant. Je me dis, donc, que s’ils me posaient directement la question, je ne dirais que la vérité et que s’ils ne me la posaient pas, j’attendrais un moment plus opportun pour leur annoncer la nouvelle. Il y a quelques années, ils me posèrent finalement la fameuse question et je leur dis la vérité. Oui, j’étais musulman. Je ne dirais pas qu’ils étaient contents de l’apprendre, mais ils n’étaient clairement pas surpris ni fâchés et nous entretenons toujours, jusqu’à ce jour, des relations familiales harmonieuses et chaleureuses.
Une autre année et un autre contrat de travail s’écoulèrent, puis je perdis mon emploi. Comme le nouveau pharaon « qui ne connaissait pas Joseph », un nouveau directeur fut nommé; il ne voyait aucune utilité dans les programmes d’enseignement de l’anglais et décida de les abolir. Je l’avais un peu vu venir, comme on dit, et j’avais déjà postulé pour un poste similaire au Yémen, mais sans succès. Et, comme ma famille l’avait prédit, je me retrouvai à la case départ – enfin, pas tout à fait.
En 1988, laissant ma famille derrière moi, à Nairobi, je retournai aux États-Unis, seul et sans emploi. Ce retour fut, comme la fois d’avant, très difficile (c’était l’hiver, aussi), mais cette fois, j’avais quelques économies en poche, de meilleures qualifications et un meilleur cv. J’étais plus outillé pour une recherche d’emploi, je savais où aller, à Washington, et j’avais quelques contacts. Et j’avais encore le complet que j’avais acheté la première fois! Et surtout, cette fois-ci, j’avais ma foi plutôt que des antidépresseurs. J’obtins rapidement quelques contrats d’enseignement à temps partiel et un emploi dans une boutique de vêtements pour hommes. Les contrats d’enseignement ne furent pas renouvelés, alors je me retrouvai à vendre des complets et des cravates à temps plein durant les trois années suivantes, tout en continuant de chercher un meilleur emploi. Et, après deux ans, je pus enfin faire venir ma famille auprès de moi. Je fis de mon mieux pour nous faire vivre décemment, avec les moyens que j’avais, plaçant toute ma confiance en Dieu.
Puis, il y a de cela quatre ans, un voisin musulman nous parla d’un nouvel institut islamique qui avait récemment ouvert ses portes et qui cherchait un professeur d’anglais. Je les appelai immédiatement et pris rendez-vous avec le directeur. Par la grâce de Dieu, je fus d’abord embauché pour enseigner à une partie du personnel et pour faire des travaux de rédaction. Ironiquement, je travaille maintenant dans un box situé dans un bureau sans fenêtre dans le nord de la Virginie, mais quelle différence! Je travaille dans un environnement islamique, entouré et inspiré positivement par des frères musulmans très instruits, que j’aime et que je respecte beaucoup et desquels j’apprends sans cesse. Et quel est mon travail? Lire des livres sur l’islam, corriger des manuscrits sur l’islam et écrire des comptes-rendus sur mes lectures. Bref, je suis payé pour étudier le Coran, les hadiths, l’aqidah, le fiqh, la sirah, l’histoire de l’islam et l’arabe, entre autres. Je remercie et glorifie Dieu chaque jour pour m’avoir guidé vers l’islam et pour m’avoir accordé toutes ces bénédictions. Alhamdoulillahi Rabbil-alamin.
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